Dans nos archives – « Un court mandat… Théodore Esgonnière » par Théodore Rousseau

Dans le bulletin de 1999 de la société d’histoire de Challans (qui était encore la Société d’Histoire et d’Etudes du Pays Challandais), notre regretté Théo Rousseau avait publié un article très intéressant sur l’un de ses aïeux, que voici sous sa forme initiale :

UN COURT MANDAT…

Théodore ESGONNIERE

MAIRE de CHALLANS
18 Mai 1908 / 14 Septembre 1909

Théodore Louis ESGONNIERE est né dans le bocage vendéen, à BEAUREPAIRE, canton des HERBIERS, le 27 Septembre 1838.

Il est le fils de Alexis Théodore ESGONNIERE, instituteur public, et de Marie MARTIN, demeurant au bourg de BEAUREPAIRE.

Cadet d’une famille de quatre enfants qui donne deux instituteurs publics à la République, Adrien et Estelle ESGONNIERE, et un prêtre, Alphonse, il ne pouvait, lui aussi, qu’embrasser la carrière d’instituteur.

A 20 ans, en 1858, Théodore ESGONNIERE, se fait dispenser de service militaire et prend un engagement de 10 ans pour se vouer à l’enseignement public.

Un congé de libération, délivré le 28 Janvier 1869 par le Commandant de la Place de NAPOLEON VENDEE, 15ème division militaire, atteste qu’il a terminé le temps de service exigé par la Loi.

Pendant cette période il est successivement en poste à ANGLES, GRAND’LANDES, SAINTE FLORENCE DE L’OIE… et termine sa carrière à CUGAND.

A 27 ans, il épouse le 9 Janvier 1865 à ROCHESERVIERE, alors qu’il est en poste à GRAND’LANDES, Céline Armance BOUTIN originaire de ROCHESERVIERE.

De cette union naît à GRAND’LANDES, le 23 Novembre 1866, une fille unique Célina Marie Théodorine ESGONNIERE.

Dans ce gros bourg où les distractions doivent être rares, la famille ESGONNIERE se lie d’amitié avec la famille d’Eugène ROUSSEAU, propriétaire et ancien maire de GRAND’LANDES de 1854 à 1864.

Le 24 septembre 1888 à CUGAND, Eugène ROUSSEAU fils, propriétaire et agent voyer (né à GRAND’LANDES le 25 Janvier 1858) épouse Célina ESGONNIERE, l’unique fille de notre instituteur.

Eugène ROUSSEAU est nommé agent voyer cantonal (1) à CHALLANS et vient s’y installer.

En 1893, Théodore ESGONNIERE, Directeur d’École Publique, retraité, vient rejoindre à CHALLANS, sa fille et son gendre.

Il acquiert au rapport de Maître LAURENT, notaire à CHALLANS, le 5 juillet 1893, « une maison de maître située ville de CHALLANS, au quartier du Boutourin ou de La Croix de Mission sur le bord de la route de CHALLANS à BEAUVOIR SUR MER .

« Ladite maison consistant en un corps de bâtiment principal couvert en ardoises comprenant plusieurs chambres hautes et basses, mansardées au-dessus, écurie, boulangerie, buanderie, greniers, lieux d’aisances et autres servitudes diverses, jardin anglais devant, vaste jardin potager derrière avec pièce d’eau ». (2)

Propriété de la famille ROUSSEAU-ESGONNIERE à Challans 98, rue Carnot

Dès son arrivée à CHALLANS, Théodore ESGONNIERE se met au service de la collectivité – Dans différents comptes-rendus du Conseil Municipal il apparaît comme commissaire enquêteur – Ainsi le 4 Octobre 1899 le procès verbal d’enquête qu’il a établi pour un échange entre la commune de CHALLANS et la Fabrique est approuvé sans restrictions – Dans sa séance du 30 Mars 1900 le Conseil approuve l’enquête faite par Monsieur ESGONNIERE relativement à l’achat du terrain Guibert-Thibaud pour l’agrandissement du Champ de Foire ; les exemples sont ainsi nombreux.

Le 21 Mars 1900, Théodore ESGONNIERE est élu Président de la délégation cantonale de CHALLANS.

A l’époque cette délégation avait pour but de faire des propositions pour le bon fonctionnement des écoles publiques du canton.

Aux élections municipales de Mai 1900 la liste républicaine enregistre un succès écrasant, Théodore ESGONNIERE fait partie des élus.

Auguste BARRAU, journaliste au PHARE peut ainsi écrire « Succès colossal pour notre liste républicaine Malgré la campagne active menée par l’un de nos jeunes vicaires et les visites aux électeurs faites avec un empressement louable par quelques candidats bien pensants et désireux d’entrer dans la nouvelle Chambre, nos adversaires ont été battus à 204 voix de majorité ».

Dans la séance du 20 Mai 1900, Théodore ESGONNIERE est désigné pour faire partie des commissions scolaire, finances et travaux communaux.

Dans la séance du 18 Novembre 1900, il est nommé répartiteur et Directeur de la Caisse d’Epargne avec d’autres collègues.

En Avril 1901, Théodore ESGONNIERE est nommé Officier d’Académie au titre des Palmes Académiques.

Mais soudain la vie communale s’agite – Le Docteur Lucien DODIN, maire, donne sa démission le 22 Avril 1901. Sa décision a été prise à la suite de la non exécution d’une promesse formelle qui lui avait été faite par le Préfet et le Sous-Préfet relativement à la nomination d’un fonctionnaire.

Auguste BARRAU dans « LE PHARE » révèle :

« L’entrefilet que nous avons consacré à la démission de Monsieur DODIN a inspiré à une feuille cléricale de FONTENAY certains commentaires auxquels nous n’accordons pas la moindre attention, s’ils ne mettaient en cause jésuitiquement Monsieur le Sous-Préfet des SABLES, dont nous tenons à dégager dès maintenant la responsabilité. « Monsieur LAUNOIS, que nous apprécions tout autrement que ce journal en question, n’est absolument pour rien dans cette affaire regrettable qu’un Préfet moins… méridional eût réglée à la satisfaction de tous – II suffisait de nommer agent voyer en chef, au lieu de Monsieur ROLLAND, bureaucrate aux insuffisants états de service, Monsieur MORINEAU, des SABLES, que Monsieur MAGNAUD aurait pu remplacer, et Monsieur Eugène ROUSSEAU, agent voyer principal à CHALLANS, candidat proposé par Monsieur DODIN devenait titulaire du poste d’agent voyer d’arrondissement.
« Mais Monsieur PLANTIE, en appelant Monsieur ROLLAND à la Direction Départementale de la Voirie, tenait, paraît-il, a être agréable aux réactionnaires, et à l’issue de la séance du Conseil Général où fut voté le rétablissement du poste supprimé il y a deux ans, Monsieur le Préfet oubliant les promesses faites relativement à Monsieur Eugène ROUSSEAU, y nomma Monsieur MAGNAUD.
« … Pour nous, qui gardons notre franc parler, surtout avec les grands, – nous l’avons, dans ce journal, suffisamment prouvé au temps du Préfet CALVET – nous dirons à Monsieur PLANTIE que la faute … impolitique dont il s’est rendu coupable envers le républicain intelligent et dévoué qu’est le Docteur DODIN est de celles qui peuvent rendre bien difficile sa situation dans notre département ».

Il faut rappeler qu’Eugène ROUSSEAU n’est autre que le gendre de notre futur maire.

Le 15 Septembre 1901, le conseil municipal réélit maire le Docteur DODIN mais celui-ci refuse et au second tour Maître Alexandre LAURENT, notaire est élu – Théodore ESGONNIERE est élu 1er adjoint.

Ce vote inspire le commentaire suivant à Auguste BARRAU [toujours dans le PHARE] : « Voilà ce que nous vaut la politique préfectorale, contre laquelle le Conseil de CHALLANS a protesté en votant à l’unanimité pour Monsieur ESGONNIERE, beau-père de Monsieur ROUSSEAU au sujet duquel le Préfet avait fait des promesses… méridionales… Heureusement que les Préfets passent ».

La vie publique s’écoule à nouveau paisiblement – Dans la presse locale le nom de Théodore ESGONNIERE apparaît souvent. Il préside la distribution des prix des écoles laïques tantôt à La Bloire, tantôt à La Flocellière.

Il est réélu plusieurs fois Président de la délégation cantonale chargée de visiter les écoles du canton.

Il est le 23 Novembre 1902 nommé délégué de la statistique agricole communale – En 1903 il fait partie de la commission chargée de la réorganisation de la bibliothèque populaire.

Aux élections municipales de Mai 1904, la liste « réactionnaire » dirigé par Monsieur Olivier BOUX de CASSON fils triomphe largement et s’adjuge la totalité des sièges – « anéantissant l’œuvre que le Docteur DODIN avait mis 20 ans à édifier ».

Théodore ESGONNIERE, 1er adjoint, avec un score très honorable est lui aussi battu.

Monsieur Olivier BOUX de CASSON est élu maire.

Pendant 4 ans c’est la traversée du désert pour les républicains.

En Juin 1906 Théodore ESGONNIERE est nommé membre de la Commission Administrative du bureau de bienfaisance.

Début 1908 les élections municipales se profilent.

Dès Avril un banquet démocratique réunit les républicains challandais sous la présidence de Monsieur DUPRE, Préfet de la Vendée.

La campagne s’anime – Auguste BARRAU toujours prompt à défendre la cause républicaine peut ainsi écrire dans « LE PHARE » :

« Il y a 4 ans, dans un morceau de littérature qui ne figurera jamais dans aucune anthologie, nos conseillers municipaux actuels, candidats alors disaient : « Nous nous opposerons énergiquement à tout nouvel impôt et nous nous appliquerons à diminuer autant qu’il sera en notre pouvoir, les charges chaque jour plus lourdes des contribuables. Cette promesse était si alléchante que nombre d’électeurs, qui s’y étaient laissé prendre, se rendent maintenant compte que non seulement on leur a promis plus de poulet rôti que de pain, mais que leur tartine beurrée par la précédente municipalité, a été raclée de telle manière qu’il en reste juste une très mince tranche ».

3 Mai 1908, au premier tour : 4 élus « républicains » et 1 « réactionnaire » Au second tour la lutte est chaude et finalement la liste républicaine l’emporte par 11 élus contre 7.

M. Théodore ESGONNIERE, Maire de Challans

Le 10 Mai 1908, Théodore ESGONNIERE, âgé de 70 ans, doyen d’âge de l’assemblée est élu maire avec 15 voix contre 7 à Gildas GRELIER – Benjamin RIOU et Victor CHARBONNEL fils, sont élus respectivement 1er et 2e adjoints.

Dès le début de son mandat le nouveau maire prend des décisions essentielles :

– maintien de la section de gendarmerie de CHALLANS une des plus importantes de Vendée, eu égard aux lies d’Yeu et de Noirmoutier qui en dépendent ;

– emprunt de 15.000,00 Francs afin d’équilibrer le budget additionnel de 1908, se soldant par un déficit de 15.000,00 F. œuvre de la précédente municipalité – etc…

En Août 1908, Théodore ESGONNIERE est nommé Chevalier du Mérite Agricole.

Dans sa séance du 24 Mai 1908, le maire fait adopter la construction du chemin vicinal n°6 de COMMEQUIERS à CHALLANS qui aura pour résultat de mettre en communication directe les communes de CHALLANS et COMMEQUIERS par suite de l’établissement d’un pont sur LE LIGNERON.

Au début du mois de Septembre 1908 est organisée la Caisse Locale de Crédit Agricole Mutuel et le maire Théodore ESGONNIERE est élu Président d’Honneur.

Un grand projet tenait à cœur à Théodore ESGONNIERE : la création d’un comice agricole cantonal, c’est-à-dire une assemblée de cultivateurs et propriétaires ruraux pour favoriser l’amélioration des procédés agricoles et du cheptel.

Ce fut chose faite le 18 Décembre 1908 – Il est élu Président avec Vice-Président : Adam BOUCHER, maire de BOIS DE CENE et FONTENEAU, maire de LA GARNACHE.

Cette structure connut une grande prospérité par la suite – En 1923, son gendre Eugène ROUSSEAU est élu Président et porte le nombre des adhérents à près de 400.

Le 7 Avril 1909, Théodore ESGONNIERE est élu Président du Comité Républicain du canton de CHALLANS, fondé le 19 Octobre 1902 par Maître Alexandre LAURENT, notaire – Ce comité avait pour but « de soutenir par tous les moyens possibles de propagande les principes républicains qui seuls peuvent assurer au pays l’ordre et la stabilité.

Ensuite, le maire, malade, n’assiste plus aux réunions du conseil municipal. Il décède le 14 Septembre 1909.

Dans le PHARE du 17 Septembre Auguste BARRAU relate les obsèques :

« Mercredi dernier, à 10 h. 1/2, ont eu lieu les obsèques de M. ESGONNIERE, maire de notre commune, Officier d’Académie, Chevalier du Mérite Agricole, décédé lundi dans sa 71ème année.

« Républicain d’ordre et de progrès, défenseur ardent des intérêts des contribuables, Président de la délégation cantonale, du comité républicain, membre d’honneur de toutes nos Sociétés libérales et mutualistes, conseiller municipal à diverses reprises, M. ESGONNIERE avait été, l’an dernier, placé par ses collègues à la tête de notre municipalité qu’il dirigea avec un zèle, un dévouement et une urbanité fort appréciés de tous ses administrés.

« Le deuil était conduit par M. et Mme ROUSSEAU et leur fils, M. PRIOLIZEALI, conseiller municipal, officier de l’Instruction publique, portait le cierge d’honneur et les cordons du poêle étaient tenus par MM. BOSSY, conseiller municipal ; Victor CHARBONNEL fils, adjoint ; LAURENT, ancien maire, et SAVARIEAU, juge de paix .

« Une foule nombreuse a suivi la dépouille mortelle jusqu’au cimetière, où des discours ont été prononcés par MM CHARBONNEL fils; PAISANT sous-préfet des SABLES D’OLONNE, et le docteur Marcel BAUDOIN.

« M. CHARBONNEL, dont l’émotion était profonde, après avoir retracé très éloquemment la vie active et toute d’honnêteté de M. ESGONNIERE et constaté combien il avait apporté de tact, de sagesse et de dévouement dans l’accomplissement de ses fonctions de premier magistrat de notre commune, a prononcé le solennel adieu au nom du conseil municipal.

« M. PAISANT a insisté d’une façon toute spéciale sur la bonne direction que le regretté défunt avait apportée aux affaires municipales challandaises dont il avait su combler le déficit budgétaire et, au nom de l’Administration, a salué la dépouille mortelle du maire de Challans pour lequel il professait une bien sympathique estime.

« C’est au nom des républicains de la 2e circonscription que notre ami le docteur Marcel BAUDOUIN a formulé les regrets de notre parti qui perd en M. ESGONNIERE un conseiller sûr et dévoué qui, sans être partisan des opinions extrêmes, professait des principes d’un incontestable libéralisme. Envisageant le vide qui va se produire par la disparition de cet homme de bien ; d’une loyauté et d’une droiture à toute épreuve, il engage les républicains à s’unir plus encore que par le passé, car si les hommes périssent, les idées demeurent et il faut savoir lutter toujours pour le triomphe de la Justice et de la Liberté ».

Voilà brièvement évoqué l’un des plus éphémères mandats d’un maire de Challans -484 jours.

Théodore ROUSSEAU


NOTES :

(1) Agent voyer : nom donné autrefois à l’ingénieur responsable des chemins vicinaux.
(2) Cette propriété – actuellement 98, rue Carnot, est restée dans le patrimoine de la famille ESGONNIERE-ROUSSEAU jusqu’en Avril 1979 où elle est vendue à Monsieur et Madame René GUILBAUD.

SOURCES :

– Archives de la famille ROUSSEAU-ESGONNIERE.
– Journal « LE PHARE » – Articles publiés par Auguste BARRAU, journaliste à Challans et regroupés en plusieurs volumes ayant fait l’objet d’un don à la S.H.E.P.C. par René GUILBAUD.


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