Dans nos archives – « Le Moulin de Rairé 450 ans d’histoire dans le vent »

Dans la revue de juin 2006 de la Shenov, qui était alors la Shepc (Société d’Histoire et d’Etudes du Pays Challandais), Richard Billet publiait un article très intéressant sur le Moulin de Rairé (Sallertaine). En voici le texte intégral.

« Moulin de Rairé 450 ans d’histoire dans le vent » par Richard Billet

1) Aux origines d’un lieu-dit

Il est avéré que l’environnement immédiat du moulin a été occupé dans l’antiquité : outillage du néolithique et poteries de l’âge du bronze et du fer attestent une présence humaine continue sur le site depuis 5 000 ans. C’est peut-être cette ancienneté d’occupation qui a fait pencher certains chercheurs pour une origine étymologique remontant au Ve siècle de notre ère (1).

L’explication est peut-être plus prosaïque. Situé aux confins du marais et à l’orée des champs, le moulin tire vraisemblablement son nom des eaux qui, chaque hiver, courent jusqu’à lui et que le patois maraîchin, vieux poitevin à peine modifié, appelle la « rouerre », la « royre », qui donna plus tard « RAIRE » (2).

Le choix de ce site, en lisière des terres cultivables et de la zone submersible, n’est pas le fruit du hasard. Si elle est guidée par le facteur énergétique (3), l’implantation du moulin s’explique par d’autres raisons. En effet, à la très grande potentialité éolienne de la région (4) avec 220 à 230 jours de vents utiles par an, s’ajoute la nécessité de la proximité de la matière première. Qui plus est, pour une grande part de la population du marais, Rairé reste un point de passage utile où il est possible de se ravitailler en farine et en eau potable qui fait parfois cruellement défaut dans les parties basses du marais.

Aussi est-il tout naturel que le moulin demeure un lieu de convivialité où chacun vient apprendre les nouvelles. Eugen WEBER le décrivait d’ailleurs comme étant l’un des principaux centres sociaux des campagnes françaises, une sorte « de salon rustique enfariné… (avec un) meunier qui était le journal des paysans parce qu’il voyait beaucoup de monde » (5). L’analyse de la clientèle attachée au moulin montre justement une fréquentation importante et un accroissement des pratiques entre 1866 et 1914. A lui seul, sur les 14 moulins en fonctionnement dans la commune, Rairé fournissait presque 10% de la population de Sallertaine à la veille de la Grande Guerre.

(1) J.L NEVEU, « Au Pays Maraîchin », Coll. La Boulite, Geste Editions, p. 13 P. GAUTHIER y a vu un anthroponyme germanique : HRODARI.

(2) En 1173, on évoque la « terra Roherii » ; puis, dans l’aveu rendu à la duchesse de Thouars, le 2 août 1567, on parle du « moulin de ROYRE ». L’écriture actuelle est apparue au XVIIIe siècle.

(3) Le foisonnement des moulins sur les bords de l’ancien rivage se justifie notamment par un accroissement de la vitesse du vent appelé « effet venturi » par les spécialistes en aérodynamique.

(4) Arthur YOUNG aurait pu, comme il le fit pour l’Anjou dans son Voyage en France, évoquer la multitude des moulins qui parsemaient alors le marais.

(5) Eugen WEBER, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale (1870-1914), traduit de l’anglais par Antoine Berman et Bernard Géniès, Fayard, éditions recherches, Paris, 1983, p. 329.

2) Le moulin d’une famille à l’autre

C’est à la puissante famille DE LA TOUCHE – aux alliances familiales nombreuses – que l’on doit la construction du moulin de Rairé (6). Une analyse dendrochronologique de la charpente et la découverte dans les fondations du moulin d’un double tournois de cuivre de Henri III, roi de France (1574 à 1589), attestent de l’édification de Rairé en pleine Renaissance. JACQUES, seigneur de Coëx, Curzon, l’Audardière et autres lieux, prit l’initiative de bâtir un solide moulin-tour dont le type deviendra un des éléments marquants du marais nord-vendéen, du milieu du XVIe jusqu’à la fin du XIXe siècle (7). Propriété de la même famille jusqu’au début du XVIIe, le moulin de Rairé passe ensuite entre plusieurs mains. Si les actes notariés ne nous permettent pas d’établir avec précision toute son histoire, il semble avoir appartenu à l’abbaye royale de BREUIL-HERBAUD (près de Froidfond), puis à Pétronille de GOURNAY, femme d’un officier de marine. Cette dernière cède à Jean GEAY, farinier, la rente de 10 livres qu’elle percevait sur le moulin. Après les MARTIN, qui ont tenu les rênes du moulin pendant de nombreuses années, les GEAY resteront à Rairé pendant près d’un siècle. Mais l’histoire se termine mal : René Geay, avec sa femme pour complice, dépouille de son or (un) de ses clients. Les coupables seront finalement incarcérés en juin 1835 (8).

Marie-Rose BERNARD, du moulin de la BOURIE, qui avait pressenti les déboires auxquels ils seraient tôt ou tard confrontés, avait acquis les 3/5e du moulin dès 1832. C’est son fils Charles BARRETEAU qui viendra s’installer à Rairé en 1841. Celui-ci laisse ensuite à son fils aîné un commerce bien achalandé qu’il s’appliquera à faire prospérer. Pierre, son fils unique, est très tôt attiré par le métier qu’il apprend à l’âge de douze ans. Il « dirige » le moulin à partir de 1903, au lendemain de son mariage avec Amélina MENUET. Mort en août 1916 durant la bataille de la Somme, il laisse trois orphelins : Pierre, Jean et Amélina. Avec l’aide de son mari, cette dernière continuera l’exploitation du moulin avant que leur fils, Marcel BURGAUD, prenne la succession et poursuive une tradition familiale née au XVIIe siècle.

Dès lors, on est loin de l’image d’un Menocchio (9), meunier malhonnête et roublard. La famille BARRETEAU jouit d’une renommée de rectitude. Herman WEBSTER, fondateur de la première société protectrice des vieux moulins, en visite à Rairé en juin 1939, notait dans son carnet de visite « le meunier est un homme jeune de 35 ans environ. Son père est mort à la guerre (…) ce sont des gens charmants qui nous plaisent beaucoup (…) ».

(6) Aveu du 2 août 1567, « item (…) en mon fief de ROYRE (…) un moulin à vent lequel ay fait édifier pour les teneurs desdicts villages villages ci-dessus nommés ». Archives départementales de la Vendée.

(7) Voir parchemin de J.B. FLORENTIN intitulé « Le cours de la vie (1542) ».

(8) Archives Départementales de la Vendée, minute BIOCHAUD, non côté, 1 et 29 juin 1835.

(9) Carlo GINZBURG. Le fromage et le ver. L’univers d’un meunier au XVIe siècle. Turin, Einaudi, 1976, p. 100.

3) Le moulin pendant les conflits

Si les moulins banaux (c’est-à-dire édifiés dans l’enceinte du fief où le seigneur exerçait son droit de ban), constituaient un objet de revenus sûrs, les conflits accordaient à ces hautes tours du marais une importance stratégique qui n’échappait à personne. Rairé ne pouvait s’y soustraire.

Néanmoins, en l’absence de traces écrites, les recherches restent parcellaires. Durant les guerres de Vendée, les moulins ont pu servir de sémaphores. Par la position de leurs ailes, ils renseignaient les troupes contre-révolutionnaires sur les mouvements des soldats républicains. Ni dans les travaux de ROUSSEAU-DUMARCET (10), ni dans le mémoire d’Hélène BURGAUD (11), il n’est question d’une signalisation cabalistique. Le moulin de Rairé a donc été épargné du désastre tandis que le district avait émis le souhait d’empêcher les moulins de la rive du marais de tourner. Trois moulins du bourg de Sallertaine ne tournaient déjà plus : un meunier est porté absent, un autre a été tué par les brigands et l’autre par la troupe (12). Quelle fut l’attitude du meunier de Rairé ? Et que signifient les balles de mousquets et les nombreuses pierres à fusil trouvées aux abords immédiats du moulin ? La présence de ces silex blonds taillés en toute hâte indique indubitablement une précipitation dans leur préparation. D’où l’idée d’un combat autour du moulin. Mais à quelle époque ? (13).

Entre 1939 et 1945, alors que ses deux beaux-frères étaient retenus prisonniers en Allemagne, Marcel BURGAUD (père), continua de faire tourner son moulin. Mais il refusa net de faire de la farine pour les soldats de la Wehrmacht qui n’avaient pourtant pas hésité à décapiter le moulin des frères ARNAUDEAU situé dans le bourg.

Et si l’on peut encore apercevoir le moulin de Rairé tourner au vent, c’est sans aucun doute grâce à son obstination. Avec l’aide de René BOUGIE, charpentier-amoulangeur à Machecoul, il a continué de veiller au bon entretien du mécanisme ainsi qu’aux réparations les plus urgentes. Malgré la concurrence des minoteries industrielles qui ne laissent aux petites unités que la possibilité de moudre le grain pour les animaux, il maintient le moulin en parfait état de fonctionnement. La guerre d’Algérie achevée, son fils Marcel persiste à son tour à faire tourner Rairé dont le nom résonne aujourd’hui comme un symbole : celui d’être l’unique moulin de France à ne s’être jamais arrêté de tourner au vent depuis sa lointaine construction jusqu’à nos jours.

(10) Lionel ROUSSEAU-DUMARCET, la Vendée maraîchine, thèse de doctorat, sous la direction de J. TULARD, Paris-IV Sorbonne.

(11) Hélène BURGAUD, Moulins à vent et meuniers du pays maraîchin et de l’Ile de Noirmoutier de la veille de la Révolution à 1914, mémoire de maîtrise sous la direction de J.P. POUSSOU, 1996, 170 p.

(12) Op. cit, p. 100.

(13) Peut-être s’agit-il du combat qui opposa 600 rebelles aux troupes du général TRAVOT entre le 11 et le 13 janvier 1800 ; combat qui mit fin à la « deuxième guerre de Vendée ». Voir les mémoires d’André MERCIER DU ROCHER, bibliothèque municipale de NANTES (ms 2934).


© Maison de l’Histoire, Richard Billet (juin 2006 – archives de la Shenov) – 12 décembre 2024