Une « Place Jean Mourain » a été inaugurée ce 4 octobre 2024, entre l’église et le théâtre le Marais. Mais qui était Jean Mourain ? Un homme étonnant dont Michel Villéger, secrétaire de la Shenov, a écrit la biographie dans la revue 2013 de la société d’histoire…
« Jean Mourain 1903-1984 » par Michel Villeger
Que ce soit dans la vie locale, associative, sportive, théâtrale, les œuvres scolaires, Jean MOURAIN était présent. Discret, il a cependant marqué son époque. L’homme aux multiples facettes se montre inépuisable dans la création et l’animation…
Jean MOURAIN est né le 5 mars 1903, à Versailles. Son père, Henri Louis-Jean Baptiste, est natif de la Bigotrie à Challans, le reste de la famille est du Grand village au Perrier, sa mère de Versailles. Ils ont eu 2 enfants : Émile et Jean.
Après des études scolaires à Versailles, il travaille comme commis chez un agent de change. Passionné par le théâtre, il rentre très tôt dans une troupe versaillaise et interprète de nombreuses pièces.
Au cours d’un séjour en Vendée, alors qu’il rentre d’un mariage à l’Ile d’Yeu, il rencontre, sur le bateau, Alexina VRIGNAUD, modiste, avec ses deux sœurs, à Challans : « magasin VRIGNAUD sœurs », place de l’Abbé GRELIER, (anciennement place des Marronniers).
Quelque temps plus tard, en juillet 1927, ils se marient. De cette union, naissent quatre filles (Madeleine, Jeanine, Françoise et Hélène).
Alexina emménage à Versailles et s’installe comme modiste à domicile et ce jusqu’en 1931, date où ils décident de partir s’installer à Challans.
Jean Mourain travaille d’abord chez un agent de change, avant de rejoindre son épouse dans son magasin de chapeaux pour dames. Le commerce étant florissant, ils décident de s’installer rue Gobin, et il crée son comptoir de chapeaux pour hommes. A cette époque, le chapeau est un accessoire vestimentaire important. Chaque fête, ou cérémonie, était l’occasion d’un achat ou d’une remise en état. Très vite, il devient grossiste de tous les bourgs aux alentours, et fait les marchés, tout en s’occupant de la comptabilité du magasin.
Mais, en 1939, arrive la guerre. Jean MOURAIN est fait prisonnier de 1940 à 1943 et incarcéré au Stalag IV, où il est élu « homme de confiance » (prisonnier, élu par ses camarades pour les représenter auprès de la « Kommandantur » du camp et des services de liaison française).
En 1942, au camp d’Altenkirchen, L’abbé Henri PONCIN (1), dans son discours d’accueil des camarades prisonniers, évoque ainsi Jean MOURAIN, lors d’une représentation théâtrale.
« Je me faisais le plaisir d’adresser la bienvenue à Jean Mourain, notre homme de confiance d’Altenkirchen. Une malencontreuse grippe l’a retenu au camp, aussi, je prie les 2 camarades qu’il a délégués auprès de nous, de lui transmettre nos regrets avec nos vœux de rétablissement. Il nous a aidés puissamment pour organiser cette séance. Nous lui devons ces programmes; du reste, s’il s’agit d’un conseil à demander, d’une difficulté à résoudre, de suite et de bon gré, il met son dévouement à notre disposition de telle sorte qu’il mérite pleinement le beau nom, que nous comprenons mieux maintenant, d’Homme de confiance du stalag.»
En 1943, de retour à Challans, il reprend son travail. Le magasin se développant, il change d’enseigne qui devient « MOURAIN VRIGNAUD ». Au rayon chapeaux va s’ajouter la vente de tissus, puis la confection de robes, notamment les robes de mariées.
Le prêt à porter fait son apparition dans les années cinquante. La vente du tissu au détail devient marginale ainsi que les chapeaux. L’une de ses filles, Jeanine MOURAIN, qui apprend la haute couture chez Dior, Givenchy, Guy Laroche, vient les rejoindre et créera ses propres modèles.
Cet esprit créatif contribua au développement du magasin. On venait de loin pour avoir « sa robe de mariée ». Elle habilla quelquefois jusqu’à quatre générations, pour toutes sortes de cérémonies : mariages, baptêmes, communions, soirée… En 1994, Jeanine MOURAIN, prend sa retraite et, faute d’un repreneur, le magasin cesse son activité.
Mais l’activité de Jean MOURAIN, ne fut pas que professionnelle. Il s’intéresse à la vie associative challandaise. En 1936, il devient Président de l’Etoile sportive du Marais, puis, de 1945 à 1959, il sera conseiller municipal. En 1947, il créera « Les Amis du théâtre » et en sera le président jusqu’en 1968.
Dans le domaine scolaire, les écoles catholiques lui doivent une grande partie des constructions et aménagements réalisés depuis la guerre. De plus, il s’occupe de la gestion de la paroisse.
En 1945 Jean Mourain est élu conseiller municipal, et en 1952, il imagine le Challans du futur…
Challans compte, alors 5500 habitants. Le 30 avril 1945, il est élu sur la liste du maire sortant Victor CHARBONNEL, dont c’est le 2e mandat. En mai 1952, il remet au maire « un projet de modification du centre de la ville qui permettrait d’apporter une amélioration de la circulation d’une part et d’embellir notre cité d’autre part ».
Ce projet comporte trois points :
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Elargissement de la rue de l’Hôtel de Ville dans toute sa longueur.
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Suppression de la halle au beurre et son remplacement par un ensemble décoratif, tout en élargissant les chaussées permettant l’arrêt des cars.
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Création d’un emplacement pour une nouvelle halle, dans le jardin de la gendarmerie (propriété communale) qui se trouvait alors en bordure de la voie publique.
Cette modification aurait l’avantage de ne pas déplacer le sens commercial qui se fait nord-sud entre les petites halles et le champ de foire, mais au contraire de la prolonger jusqu’à la Mairie, et d’augmenter sensiblement nos places qui se révèlent trop étroites comparativement à l’activité de Challans.
Ce projet est présenté par Victor CHARBONNEL, lors du conseil municipal du 14 juin 1952, et le compte rendu de la séance indique :
« Le conseil municipal manifeste de manières diverses, sa réaction au projet, mais considère, à l’unanimité, qu’il y a lieu de prendre en considération ces propositions. Il demande de « lever » un plan qui sera soumis à une délibération ultérieure. »
Lors de cette même séance, le maire lit au conseil municipal une autre lettre de Jean Mourain, « qui attire l’attention sur la pénurie de locaux d’habitation et des difficultés qui en résultent, non seulement pour ceux qui recherchent des logements, mais aussi pour les collectivités ».
L’assemblée est d’accord à l’unanimité pour reconnaître les difficultés et l’urgence qu’il y a pour les collectivités à trouver une solution. Le conseil décide de créer une commission qui aura pour mission d’établir des propositions.
Le 9 mai 1953, Jean Mourain se représente, toujours sur la liste de Victor Charbonnel : « Union républicaine pour la défense des intérêts nationaux ». Il est réélu.
Le rapport MOURAIN
Lors de la séance du conseil municipal du 29 novembre 1953, Jean MOURAIN présente son rapport au conseil. Celui-ci « traite des améliorations nombreuses à apporter, tant à l’intérieur de la cité que dans ses abords immédiats… »
Extrait du compte rendu du conseil municipal :
« En ce qui concerne la recherche des terrains de construction, le rapport envisage deux problèmes :
« 1) l’achat de grandes surfaces sur lesquelles seraient tracées des voies nouvelles et créés des lotissements communaux.
« 2) Percées de voies nouvelles dans des terrains, dont la libre disposition resterait aux propriétaires qui pourraient les négocier.
«Monsieur Mourain, guidé par des photographies aériennes, attire l’attention du conseil sur deux quartiers : celui de la Coursaudière d’une part et celui compris entre la route des Sables et la route de Soullans, d’une forme trapézoïdale et d’une contenance de 16 hectares environ… le maire se faisant l’interprète du conseil, félicite Monsieur Mourain du rapport clair, précis , dont il vient de donner lecture et des idées originales qu’il renferme…
« Puis le maire demande au conseil de se prononcer à bulletins secrets sur la question suivante :
« Le conseil est-il d’accord pour prendre en considération l’acquisition des terrains envisagés ?
« Nombre de votants : 16 – Oui : 11 voix, non 4 voix, blanc 1.
« En conséquence, la prise en considération de l’acquisition par la commune des parcelles envisagées est adoptée. »
En juin 1956, Jean Mourain présente un dossier « Peut-on embellir Challans ? »
Avec des propositions d’aménagement des abords de la mairie et la création d’une cité administrative à la place de la gendarmerie, dont la presse se fait largement écho. Il s’ensuit de nombreux débats. Finalement les petites halles furent détruites en 1957, mais l’environnement de la Mairie fut considérablement modifié, par la création d’espaces verts et de parkings. La gendarmerie a déménagé, mais l’idée d’une cité administrative fut abandonnée. On évoque, alors, un boulevard circulaire.
L’association Les Amis du Théâtre
C’est le 24 novembre 1947 que furent déposés à la préfecture de Vendée les statuts de l’association « LES AMIS DU THEATRE », créée par Jean MOURAIN. Les statuts précisaient que l’association avait pour but :
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De développer l’amour de la scène, encourager les talents des acteurs amateurs et leur donner la possibilité de manifester ce talent en public.
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De procurer aux habitants de la région de Challans l’occasion de distractions saines et de développer parmi eux le goût artistique.
- De créer et maintenir entre ses membres des relations amicales.
Les représentations avaient lieu dans la salle paroissiale, sous la direction artistique de Jean MOURAIN. La première pièce fut le « Bourgeois gentilhomme ».
En 1950, à l’initiative de l’Abbé Joseph NOMBALLAIS, curé doyen de Challans de 1945 à 1964, fut construite, rue Carnot, une nouvelle salle paroissiale, appelée « Le Marais ». Au lancement du projet, une salle de cinéma était prévue, mais, très vite, de nombreux bénévoles se mobiliseront autour de Jean MOURAIN pour en faire aussi un lieu de théâtre.
Jean MOURAIN, sous l’égide de l’Association d’éducation populaire (A.E.P.) fait tous les plans de la construction scénique, en s’ inspirant de la machinerie du théâtre de l’Odéon à Paris, Le Marais est le seul théâtre en Vendée, et certainement dans la région, voire en France, à avoir une vraie cage de scène, là ou est installée toute la machinerie à l’italienne. Le système est basé sur les techniques de la marine à voile et comprend un gril, plancher à claire-voie au-dessus du cintre, des passerelles pour commander les mécanismes et permettre ainsi, en cas d’alternance, d’envoyer un décor complet. La salle comporte 304 places au balcon et 246 places au parterre (*).
(*) Le théâtre le Marais vient d’être rénové et toutes ces installations ont disparu (ndlr 2024)
Les frères MARTEL
En 1960, avec l’arrivée de la télévision à Challans, la fréquentation baisse et le nombre de spectateurs est en nette diminution. En 1974, pour un meilleur confort du public, la salle est rénovée, et le balcon est supprimé. En 1995, la salle tombe en désuétude. La commune apporte son aide et Christian PIVETEAU, alors Président « des Amis du Théâtre », et Erick CROIZÉ lui redonnent un second souffle, notamment en créant des ateliers pour adolescents et adultes. Mais à la fin des années 90, les dégradations du bâtiment liées au temps et les normes de sécurité, imposent une rénovation. Au printemps 2000, la ville achète ce bien à l’évêché, qui ne pouvait plus en assurer la maintenance et la mise aux normes.
En 2001, des travaux sont à l’étude, mais font craindre quant à la conservation de la machinerie à l’italienne. Les amoureux du théâtre se mobilisent et la plus jeune des filles de Jean MOURAIN, Hélène DESPROGES, veuve de Pierre DESPROGES (humoriste, journaliste et écrivain, disparu en 1988), productrice artistique à Paris, est reçue par Louis DUCEPT, maire, pour parler de ce théâtre avec passion, afin de ne pas perdre ce patrimoine.
Après débat, en février 2002, le conseil municipal décide de maintenir au théâtre, l’ensemble de ses fonctions actuelles (théâtre, musique, cinéma…) et approuve le programme de mise en sécurité du Marais. Le théâtre va accueillir 280 places, et les travaux ont reçu un avis très favorable de la DRAC.
La machinerie à l’Italienne, conservée en l’état, apporte toute sa richesse par sa rareté et intègre désormais le patrimoine historique et culturel de la ville. Cependant, un matériel automatisé et adapté aux besoins scéniques actuels l’a remplacée.
A noter que Jean MOURAIN a également dessiné les plans du cinéma « Le Mimosa » à Noirmoutier.
Les costumes étaient loués à la maison PEIGNON de Nantes. La célèbre maison « Peignon Costumier » fabriquait des costumes à Nantes, rue d’Erlon, depuis 1853, qu’elle louait ou vendait pour les tournages de films, les reconstitutions historiques, les bals costumés, les théâtres, les musées. Elle a cessé son activité en 2005.
La maison PEIGNON disposait de 20 000 pièces de costumes dont une importante collection de vêtements anciens et de cartonnages artistiques liés au Carnaval et aux souvenirs de Nantes. Elle détenait également une collection unique de masques anciens de Carnaval, dont certains remontait au Second Empire. A travers ces visages caricaturaux dont la plupart évoquent DAUMIER, BOEILLY ou Benjamin RABIER, c’est tout l’imaginaire de la fête et de la dérision du XIXe siècle qui surgissait de cet extraordinaire coffre à jouets anciens. On y trouvait tous les faciès des archétypes physiques et sociaux de l’époque, mais aussi la représentation ancienne des personnages orientaux ou mystiques ainsi que tous les animaux de la basse-cour et des colonies. En 2002, a eu lieu une première vente aux enchères, avec la vente de plus de 10 000 costumes et accessoires, puis, en 2011, la vente du reste de la collection.
Durant la présidence de Jean MOURAIN, de 1947 à 1968, 24 pièces et 2 revues furent jouées, dont 6 à la salle paroissiale (de 1947 à 1950).
En 1960, le choix de la pièce « Ruy Blas » posa un problème. En effet, il fallait demander l’autorisation à l’évêché, avant de jouer chaque pièce de théâtre, et celui- ci refusa, la trouvant « immorale ». Malgré tout, ils l’ont jouée au Central Ciné, salle des œuvres post-scolaires, au profit des soldats challandais en Algérie. En 1962, la pièce fut de nouveau jouée, l’évêché ayant donné son accord…..pour la salle du Marais.
Liste des pièces interprétées lors de la présidence de Jean MOURAIN
Salle paroissiale
1947 – Le Bourgeois Gentilhomme
1948 – Sylvie et le fantôme, David Copperfield
1949 – Knock, L’ami Fritz
1950 – Peg de mon cœur
Théâtre « Le Marais »
1951 – Gai marions-nous
1952 – Ni queue, ni tête ( revue)
1953 – Les gueux au paradis
1954 – Le gendre de M. Poirier, Sysiphe et la mort
1955 – Un chapeau de paille d’Italie, Sur la terre comme au ciel
1956 – La cuisine des anges
1957 – Les dix petits nègres
1958 – Le Bourgeois gentilhomme
1959 – Les fourberies de Scapin, La paix chez soi
1960 – Ruy Blas
1961 – Les trois coups de minuit ( Monaco)
1962 – Ruy Blas ( reprise), Hibernatus
1963 – Bon Week-end M. Bennett
1964 – La comédie du masque
1965 – Marais-nous ( revue)
1966 – C’est toujours le printemps
A ses débuts, la troupe était composée d’une vingtaine de personnes. A partir des années 60, elle a participé à des concours, d’abord aux Sables-d’Olonne puis, avec « Les trois coups de minuit » pièce d’André Obey, qu’ils présentent à Bordeaux et à Paris, à Saint Séverin et la Maison de la Chimie, et pour laquelle ils furent sélectionnés pour représenter la France au 2éme festival international amateur de Monaco en 1961, sous le haut patronage du Prince et de la Princesse de Monaco.
L’Étoile Sportive du Marais
Sportif accompli, en 1936, Jean MOURAIN devient Président de « l’ÉTOILE DU MARAIS », qui deviendra après la guerre, en 1945 « L’ETOILE SPORTIVE DU MARAIS ». Il développera, notamment, la section gymnastique dont il fut le moniteur durant prés de 15 ans. Et il reçut en 1954, des mains du docteur LEVEILLÉ, maire de Challans, l’épinglette de vermeil de la F.S.F. (la plus haute distinction de la fédération), qui récompensait 40 années d’action au sein de la société.
En 1936, plusieurs gymnastes décident de se lancer dans un nouveau sport à la mode, importé des Etats Unis, le basket-ball. Sous la présidence de son neveu, élu en 1963, Michel VRIGNAUD, (P.D.G. de l’Entreprise Challandaise de Travaux Publics, l’E.C.T.P.), le club de basket-ball va rester pendant une dizaine d’années au plus haut niveau du championnat national de basket-ball. L’équipe évolue en Nationale masculine 1, troisième échelon national, sous la dénomination de Vendée Challans Basket.
En 1971, Michel VRIGNAUD décède dans un accident de voiture. Pour honorer sa mémoire et son action pour le développement du basket-ball challandais, la salle omnisports devient la salle Michel VRIGNAUD.
Dans le domaine scolaire, les écoles catholiques doivent à Jean MOURAIN, une grande partie des constructions et aménagements réalisés depuis la guerre, entre autres les écoles maternelles Notre-Dame, Saint-Dominique et le collège de la Proutière. Enfin il se dévouera, sans compter, dans la gestion de la paroisse. Il décède le 19 avril 1984, il avait 81 ans.
Article de Michel Villeger
Remerciements à :
Nicole CROIZÉ et Dominique CROIZÉ qui m’ont ouvert leurs archives et consacré beaucoup de temps pour apporter leurs témoignages. Madeleine LE SAUNIER et Jeanine MOURAIN, filles de Jean MOURAIN.
Sources et bibliographie :
Abbé PONCIN : « Carnet de captivité 1940-1945 », page 256. Edition Henri Poncin – 73000 Chambéry – juin 2011.
Crédits photos et articles de journaux : collections privées de Nicole CROIZÉ et Dominique CROIZÉ. Collections privées de Madeleine LE SAUNIER et Jeanine MOURAIN.
Comptes-rendus des Conseils Municipaux de la Mairie de Challans – Années 1945 à 1959.
© La maison de l’Histoire – archives de la Shenov – SHEPC revue 2013 – Michel Villeger – 1er janvier 2025