Challans – La disparition du terminus

Les cartes postales que nous possédons montrent le train de Fromentine à l’arrêt Place de la Halle au Beurre, dans la Grand’rue ou, devant la cour la gare. Ce second arrêt ou départ, suivant le cours de la journée, était pratique pour les voyageurs en transit et facilitait la correspondance entre les deux lignes : celle de Fromentine et celle de Nantes à La Roche-sur-Yon.

A notre connaissance, les photographes et les éditeurs de cartes postales n’ont jamais représenté le terminus challandais de la ligne et sa propre gare. Pourtant, elle existait bel et bien.

Fermée le 1er octobre 1949 avec l’arrêt simultané des treize lignes à voies métriques du département, sa disparition physique et définitive ne date que de février 2024 !

Totalement oubliée car masquée par un hangar en tôle, à côté du passage à niveau de la Poctière, portant le n° 121, il n’en reste désormais que sa trace, à l’arrière du bâtiment.

La silhouette du pignon de la gare de la ligne Challans-Fromentine encore visible sur les tôles du hangar qui la masquait

Achetée par la ville en 2023, une pelleteuse a eu rapidement raison de sa vétusté et de ses derniers squatteurs, cent vingt-neuf années après sa construction.

Après 53 années de services ferroviaires, de 1896 à 1949, elle connut une seconde vie lorsque le dernier autorail qui, après la seconde Guerre Mondiale, avait remplacé les machines à vapeur, cessa ses allers et retours entre Challans et la mer.

La petite gare de la ligne Challans Fromentine, abandonnée, peu de temps avant sa démolition

Le dernier voyageur à arpenter le hall destiné au public et la salle réservée aux marchandises, fut un artiste. Il s’agit d’Henry Murail, surnommé le Maillol vendéen. L’artiste y modela, à partir de 1975, ses dernières sculptures dont ses « monumentales ».

La dernière voyageuse, elle, fut une « baigneuse », mais quoi de plus normal pour cette gare et cette ligne qui emmenait les petits challandais aux bains de mer, au pied de l’estacade de Fromentine. L’imposante statue commandée à Henry Murail par la ville de Saint-Jean-de-Monts, envahissait tout l’espace de la plus grande salle de la gare, explique son fils, Denis, lui-même sculpteur. A noter que ce n’est pas le commanditaire mais l’artiste lui-même qui en avait choisi le sujet.

Après le modelage d’une réduction, puis un second modelage à taille réelle, suivi de la réalisation du moule en plâtre, elle passa par la fonderie d’art Denis, à Rezé, avant son voyage sans retour, aux bains de mer. Elle se posa, magnifique, face aux vagues, en décembre 1999, prête à défier les éléments pour le siècle suivant [voir la dernière photo].

(A gauche) La découverte des joies de la mer. En fond, l’estacade de Fromentine en 1953 – (A droite) Saint-Jean-de-Monts en 1955. Ni estacade, ni baigneuse en front de mer

24 mars 1895

Le terminus de Challans était fin prêt pour l’ouverture de la ligne, prévue en 1895, mais reportée d’un an car les autres gares n’étaient pas encore construites. Si les 24 km 700 de voies étaient posées, il fallait encore installer les voies de garage et surtout édifier les bâtiments indispensables. A Fromentine, les constructions, à l’été 1895, n’étaient pas commencées, à Beauvoir-sur-Mer, seules les fondations étaient prêtes, et ni les arrêts de La Barre-de-Monts, de Saint-Gervais, ou des Quatre-Moulins n’étaient sortis de terre. Les trois locomotives et les wagons-plateaux, déjà livrés, devront patienter jusqu’en juin 1896. Le terminus de Challans, lui, disposait d’une remise pour la machine à vapeur, d’une seconde pour les voitures, d’un réservoir d’alimentation en eau, d’un atelier de réparation, d’un bureau destiné aux voyageurs, d’un second pour gérer le trafic des marchandises en « petite et grande vitesse » et enfin, d’un quai de chargement et d’une plaque tournante. Le tout était relié au réseau par trois voies pourvues d’aiguillages en façade des bâtiments, Le corps principal du bâtiment avait à sa gauche, une remise.

Trois voies parallèles empruntaient ce chemin, alors plus large, entre la plate-forme à droite et les bureaux de l’équipement à gauche, construit eux aussi vers 1950, sur des terrains de l’hôpital provenant du legs Biochaud

 

Afin de faciliter le transfert entre les deux réseaux, une voie métrique reliait le terminus au hall des marchandises, commun avec la ligne Nantes- La Roche-sur-Yon. Le bâtiment fut détruit lors d’un incendie dans les années 1970 et il n’en reste actuellement que la plate-forme

L’ensemble de ces équipements, constituant le dépôt, s’inscrivait dans un méandre du ruisseau des Judices, à environ 150 mètres de la gare principale. La plupart de ces bâtiments disparurent après l’arrêt de la ligne mais on conserva les deux halls et leurs dépendances qui devinrent la propriété de Marcel Guillet, marchand de grains. Celui-ci exploitait déjà depuis 1930, deux entrepôts sur le boulevard de la gare mais avait besoin d’un troisième éloigné du public pour stocker les matières dangereuses comme les engrais azotés ou contenant du nitrate d’ammonium.

Lorsqu’il arrêta son activité, il fit de ces deux grandes pièces couvertes d’ardoises, un espace habitable qu’il loua au tout nouvel ingénieur des ponts et chaussées, Gérard Plessis, fraîchement débarqué à Challans, le premier février 1956.

Un nouveau locataire, membre du personnel technique de l’hôpital tout proche, prit la suite, et enfin, ce fut au tour du sculpteur Henry Murail qui y travailla de 1975 à 2002. C’est dans cet atelier qu’il réalisa ses sculptures monumentales comme le Général Leclerc pour la ville de Nantes, la Baigneuse pour Saint-Jean-de-Monts, l’abbé Tonnerre et la femme qui orne l’entrée de l’hôpital tout proche, sculpture nommée Adagio.

Adagio, sculpture d’Henry Murail réalisée dans l’atelier de la petite gare

 

Masquée par les bâtiments des ponts et chaussées, la vieille petite gare disparaissait également derrière la végétation et le bâtiment en tôle, toujours présent, construit sur la plate-forme destinée aux marchandises. Ce hangar est probablement postérieur à l’arrêt de la ligne de Fromentine mais existait au tout début des années cinquante.

« J’suis employé d’la p’tit vitess’
Ousqu’on n’précipit’ pas l’mouv’ment,
Aussi chez moi, y a jamais d’press’
Ça n’entre pas dans mon tempérament »

Voici ce que chantait Louis Brenon, dit « Beurnon » né le 8 janvier 1838 aux Grandes Raillières de Challans. Journalier comme son père, il apportait dans tous ses gestes une lenteur désespérante. Il logeait chez un certain Tableau-Citeau, dit le père la « Peinteure». Il décéda à l’hôpital Biochaud, le 12 juillet 1880.

La « petite vitesse » transportait les marchandises non périssables, la « grande vitesse » était réservée aux produits frais, vivants ou périssables.

Les dernières traces de cette ligne à voies métriques qui transporta des milliers de passagers et des tonnes de marchandises viennent donc de disparaître de la commune de Challans. Seule, la gare de Beauvoir-sur-Mer, restaurée il y a quelques années, ainsi que sa réserve d’eau, sont encore visibles pour cette ligne.

Pour le « petit train de Fromentine » encore bien vivant et empreint de nostalgie dans la mémoire de nombreux Challandais, il était important de rappeler ce terminus caché et oublié depuis les années cinquante.

En 1920, on envisagea sérieusement de construire une ligne de chemin de fer à voies normales pour relier Cholet à Saint-Jean-de-Monts, via Challans. L’étude resta à l’état de projet. Cela n’empêcha pas les Challandais de rejoindre la côte, ni la « baigneuse » d’Henry Murail d’aller mettre un pied dans l’eau !

Sources : Shenov – Merci à Roby !
Illustrations et photos : Erick Croizé et Didier Le Bornec.


© La Maison de l’Histoire – mercredi 29 janvier 2025, Erick Croizé.