Challans il y a 103 ans – 1922 : hommage aux morts

Il y a 103 ans, la vie reprend son cours, la vie telle qu’elle est lorsqu’on vit en paix. L’année 1921 a encore été marquée par la Grande Guerre et la désolation qu’elle a semé dans de nombreuses familles. Les cercueils des défunts arrivent régulièrement en gare de Challans avant d’être acheminés jusqu’à leur commune. Les Challandais sont portés en terre, de la gare à l’église puis au cimetière sur un char à quatre roues, recouvert d’un drapeau tricolore, que saluent à leur passage les riverains de la Grand’ Rue. La sécheresse qui a sévi en 1921 est terminée et le pain n’est plus rationné.

Par contre, la concorde qui prévalait pendant les années de conflit s’effrite sérieusement. Pendant plus de cinq ans, chacun avait mis ses convictions politiques et religieuses sous l’éteignoir et on voyait en 1914, les épouses de deux notables qui se déchiraient sur tous les sujets, quêter ensemble pour venir en aide aux familles, privées du modeste salaire des hommes, partis au combat.

En 1922, l’inauguration du Monument aux Morts montre que les divisions s’expriment à nouveau.

C’est au cours de la séance exceptionnelle du conseil municipal du 12 avril que le monument a été choisi. Les frères Martel, nés dans le canton de Challans et demeurant à Paris, 3, rue de la Neva, précise le rapporteur (1), proposent un monument représentant les parents de soldats, pleurant leurs enfants. L’homme et la femme sont habillés en costume du pays. Les sculpteurs du Mollin préconisent pour leur monument un décor de verdure et suggèrent de l’installer quartier de la Chapelle, devant le parc des Marzelles.

Monsieur Gourdon, représentant la marbrerie du même nom, installée à Paris, 33, rue Poussin est à son tour auditionné. Il présente quelques planches, précisant que des adaptations sont possibles. C’est ce monument, produit en séries, qui sortira vainqueur du vote à bulletins secrets qui suivra. Sur 13 votants, 2 ont choisi l’œuvre proposée par les Martel, 10 ont voté pour la maison Gourdon, et un élu a voté blanc. A noter que 8 conseillers étaient absents. Le maire précise alors que le coût de l’ensemble ne devra pas dépasser 85,000 Francs.

(1) Jan et Joël Martel sont nés à Nantes le 5 mars 1896, mais ils ont passé leur enfance au Mollin (La Garnache), propriété familiale qui sera plus tard leur résidence secondaire – leur mère était de Bois-de-Céné.

Le monument aux morts en 1930, photographié depuis l’hôtel de ville

L’inauguration officielle aura lieu le dimanche 29 octobre. 263 noms y figurent. Les soldats qui ont été décorés à la suite du conflit devaient payer leur médaille ; de même, les familles doivent payer pour l’inscription de leurs morts sur le monument ! Ces surprenantes décisions nationales entraîneront quelques confusions : certaines familles qui en ont les moyens feront graver le nom de leur mort sur plusieurs monuments !

Auguste Barrau s’était emporté dans son journal sur le choix artistique des élus. Pour d’autres raisons, l’abbé Charles Grelier, lui aussi, avait trempé sa plume dans l’encrier : « Ce monument, exclusivement laïc et qui ne comporte aucun signe religieux a été fabriqué à Saint-Pol-de-Léon. Beaucoup de catholiques sont mécontents de cette absence de signes religieux mais cette neutralité ne convient-elle pas lorsque l’on sait que deux soldats challandais sont morts dans l’impiété totale ! » Et d’ajouter, rejoignant pour une fois le journaliste du Phare : « La décoration est pauvre, piteuse, indigne de l’héroïsme de nos soldats ! »

La « Lyre challandaise » en 1887 (archives Shenov)

Pour ajouter un peu de division, l’harmonie La Lyre (républicaine) refusa de jouer à l’église où une messe était célébrée, et la Sainte-Cécile (catholique) refusa de jouer devant le monument aux morts.

Concert de la Sainte Cécile devant les grandes halles de la place Aristide Briand en 1930 (archives Shenov)

Le grand conflit de 14/18 est clos, les petits conflits eux, ne connaissent pas d’armistice ! Et malgré ces cartes postales souriantes, endosser l’uniforme militaire ne fera plus rêver.

Sources : archives de la Vendée ; Auguste Barrau ; Shenov.


© La Maison de l’Histoire, dimanche 27 juillet 2025 – Erick Croizé