Le Général Moustache était un supporter assidu et inconditionnel de l’équipe première de Basket, du temps de la nationale 1. Un supporter émotif, proche des larmes de joie lorsque son équipe gagnait ou de tristesse lorsqu’elle perdait. Il était surnommé ainsi car il arborait une moustache fournie et avait acquis le titre de général par l’enthousiasme qu’il manifestait à entraîner sa petite troupe, groupée autour de lui.
Le général, si mes souvenirs sont exacts, était de La Mothe-Achard. Habitué du dernier rang de la tribune B, il passait presque tout le match debout, une écharpe aux couleurs du club autour du cou, prompt à s’enflammer, parfois aidé d’un coup de trompette, mais respectant toujours les oreilles de ses voisins.

C’était une époque (pour rappel, les saisons 1973 à 1976) où la sonorisation ne diffusait de la musique que pendant l’échauffement des équipes ainsi qu’à la mi-temps. Aucune incursion musicale ni commentaire du speaker pendant les arrêts de jeu, ce qui permettait aux spectateurs d’échanger leurs impressions. On entendait le ballon rebondir sur la moquette et parfois, les joueurs échanger entre-eux. Ni tambours, ni Pom-pom girls n’existaient et l’on n’entendait ni « défense, défense ! » ou « ici, c’est Challans ! » Une totale neutralité était imposée au speaker et, en cas de manquement, le délégué de la fédération pouvait pénaliser le club. Ceci n’empêchait nullement le public de se manifester, d’applaudir, de contester l’arbitrage, bref de réagir.
Le général Moustache se singularisait donc en entraînant la salle pour soutenir son équipe.
Pour remercier son attachement au club, les dirigeants lui avaient proposé d’accompagner l’équipe lors d’un déplacement. Probablement du côté de Lyon où l’on se rendait plusieurs fois par saison. Ces déplacements s’effectuaient en train, les matchs se disputaient le samedi soir et le retour s’effectuait par les trains de nuit, parfois seulement le dimanche.
Deux J9 Peugeot de l’E.C.T.P., l’entreprise du défunt président Michel Vrignaud, assuraient la liaison jusqu’à la gare de Nantes. Deux banquettes, face à face, habituellement occupées par les ouvriers, offraient de la place aux jambes des grands gabarits.

J’étais du second véhicule, avec Guy Raffin, le journaliste sportif de Ouest-France, quelques joueurs et Moustache, aux anges.
L’entraineur Serge Kalember avait pris place à côté du chauffeur et ne manquait que Patrick Petit, le capitaine. L’heure du départ étant fixée, le premier J9 était déjà parti. Le coach donna l’ordre au chauffeur de le suivre alors qu’une voiture se stationnait précipitamment sur le parking. Le véhicule roulait déjà. « Le voilà, » disait-on. « Roulez, » répondit Serge Kalember.
Patrick courait derrière le mini-bus, son sac de sport à la main. « Accélérez, » ajouta le coach. Et Patrick, ne pouvant nous rattraper, s’arrêta.
Moustache était effondré et suppliait : « c’est Patrick, monsieur, on ne peut pas partir sans lui ! » Le regard du général s’embuait, nous interrogeait. Son rêve, dès les premières minutes, s’effondrait et la joie du départ avait fait place à un silence de plomb.

Un peu avant La Marne, une Alfa-Roméo rouge se plaça derrière nous et fit des appels de phares. C’était Benjamin Cacaud, le président, et Patrick, à son côté. Benjamin avait sa maison et son bureau d’assurances à côté de la salle. Le capitaine Petit avait trouvé rapidement le chauffeur pour nous rattraper.
Mais le conducteur était aux ordres. Quand ils comprirent que le J9 ne s’arrêterait pas, l’Alfa nous dépassa et fila sur Nantes.
On les retrouva à la gare. Aucun échange, Patrick réintégra le groupe et il ne fut plus question de cette mésaventure durant la suite du déplacement. Moustache était rassuré, mais le fidèle supporter au grand cœur avait connu une montée d’adrénaline probablement équivalente à une injuste défaite de son équipe à la maison.
Erick CROIZÉ
Prochain épisode : En direct de la salle Vrignaud. A vous Cognacq-Jay
© La Maison de l’Histoire, 23 octobre 2025 – texte Erick CROIZÉ ; recherche des illustrations, photos Didier LE BORNEC